mercredi 4 janvier 2012

Musée Cognacq-Jay


Dans une petite rue tranquille du Marais, derrière un portail massif qui ne s’ouvrait jadis que pour les carrosses, se trouve une demeure parisienne somptueuse restaurée, l’hôtel Donon, construit et modifié sous les règnes successifs d’Henri II et de ses trois fils. La demeure a été bâtie à la fin du XVIe siècle pour Médéric de Donon, conseiller du roi et surintendant des Bâtiments, époux de Jeanne Della-Robbia, petite-fille du sculpteur florentin Andrea
Della-Robbia.
Après des siècles de négligence, la Ville de Paris a transformé cette demeure jadis à l’abandon en un étonnant musée, ouvert au public depuis la fin 1990. C’est à la fois une surprise et un ravissement de découvrir que la sobre façade de ce bâtiment – qui reflète un grand style architectural de Philibert de l’Orme (fin du XVIe)-  cache un intérieur luxueux suggérant le mode de vie de la grande bourgeoisie française du XVIIIe siècle. Le musée est un modèle de restauration, avec ses boiseries d’époque, ses sols de pierre noir et blanc usés par le temps, ses tapisseries d’Aubusson et son discret éclairage moderne, mariant l’atmosphère d’une élégante demeure privée aux exigences modernes d’un espace d’exposition public.
En découvrant au premier étage la salle Leczinska, avec ses clairs lambris blanc et or, son mobilier Louis XV, ses portraits de la reine Marie Leczinska et des sœurs Nesle – toutes deux maîtresses éphémères de Louis XV – par Nattier, il est facile d’imaginer ce que pouvaient être les « salons » du siècle des Lumières, dans lesquels les élites du temps se réunissaient pour discuter les dernières œuvres de Voltaire, Rousseau ou Buffon.
Le musée Cognacq-Jay est remarquable pour la façon dont il réussit à donner un sentiment d’intimité, tout en offrant un panorama complet de la civilisation française du XVIIIe siècle : peintures, dessins, sculptures et arts appliqués, y compris des figurines de Meissen, des tabatières finement enrichies de pierres précieuses et d’émaux, des nécessaires pour dame – tous vestiges charmants d’une époque qui allait déboucher sur la Révolution française
Les visiteurs seront enchantés par des raretés telles que la table incrustée jadis en possession de Mme de Pompadour, magnifique meuble d’ébène et de bronze, décoré d’incrustation de cuivre et de nacre ou comme le lit à baldaquin, tendu de brocart de soie bleu, qui a bercé le sommeil de la tante de Louis XVI, Mme Adélaïde. Les galeries e peinture et de sculpture sont également impressionnantes, par le choix très sûr d’œuvres signées Cardin, Watteau, Tiepolo, Ruysdael, Fragonard, Boucher, Vigée –Lebrun, Greuze, Falconet, Houdon, Clodion, Reynolds, Lawrence et Rembrandt.
Les trésors à découvrir sont légion dans ce musée, dont une salle entièrement remplie de pastels signés de l’un des plus grands maîtres du genre, Quentin de la Tour : il est difficile d’oublier par exemple, l’étonnant portrait de La Présidente de Rieux habillée pour le bal, somptueusement parée d’une robe de soie grise ornée d’une profusion de taffetas bleu canard.
La salle Ovale est un autre petit bijou : peinte en tons de turquoise pâle, elle offre cinq délicieux portraits d’enfant par Greuze, des vitrines garnies de délicates porcelaines de Sèvres et de calices de cristal et d’améthyste finement gravés, ainsi que deux statues de marbre aussi sensuelles que séduisantes : une Vénus tenant les rênes de son char, par François-Marie Poncet, et un Enfant à l’oiseau, par Jean-Baptiste Pigalle.
Plus de mille objets sont ainsi exposés sur les quatre niveaux du musée Cognacq-Jay, de sorte qu’une visite tranquille occupera aisément une bonne partie de l’après-midi. Son mélange réel de grandeur et de délicatesse, joint à l’ampleur de ses collections, le rend unique parmi les institutions parisiennes.
«  Le musé Cognacq-Jay est une collection exceptionnelle, parce que c’est un ensemble d’objets réunis par une seule personne et provenant d’un moment donné de la civilisation occidentale, note le conservateur Pascal de la Vaissière. Il permet d’apprécier toutes les techniques artistiques qui ont atteint un certain degré d’excellence au XVIIIe siècle. »
Le collectionneur unique qui a réussi cet étonnant ensemble d’œuvres d’art est Ernest Cognacq, avec l’approbation tacite de son épouse Marie-Louise Jay ( d(où le nom du musée) L’homme est aussi exceptionnel que les objets de sa collection.
Né en 1839 à Saint-Martin-de-Ré, dans une famille très modeste, Cognacq devint orphelin à onze ans et fut alors contraint de quitter l’école pour aller gagner sa vie à Paris. Il finit par devenir revendeur en articles de mercerie sur le Pont-neuf – le plus vieux pont de Paris, comme l’on sait.
L’endroit plut au jeune homme, qui ouvrit en 1872 une petite boutique dans un café de la rive droite, tout près du point, qu’il baptisa La Samaritaine, du nom donné à la pompe qui auparavant alimentait le palais du Louvre en eau et se trouvait à cet endroit précis…Ce fut l’acte de naissance de ce qui allait devenir l’un des plus illustres grands magasins de Paris, et qui ouvrit ses portes en 1900 ;
Un quart de siècle plus tard, cet entrepreneur  self made dirigeait un empire commercial Qui vendait plus d’un milliard de francs de marchandises ; il reversait plus de 65° des bénéfices à ses employés. Son plus grand plaisir était de dépenser sa fortune – durement gagnée- en achetant de magnifiques œuvres d’art. on a pu comparer ces acquisitions à la Wallace Collection ( Hertford House, Londres), musée que Cognacq enviait et admirait.
Eu égard à la modestie de ses débuts et à ses activités absorbantes d’homme d’affaires, on peut s’étonner qu’un homme aussi dépourvu de culture artistique ait possédé un sens artistique aussi élevé. Yves Sevy, journaliste qui connaissait bien Cognacq, écrivit après sa mort : «  L’humilité de ses débuts ne le prédisposait pas particulièrement à l’amour des belles choses. En fait, il avait un instinct très sûr et très profond, ainsi qu’une passion réelle pour tout ce qui est beau et magnifique. »
En outre, Ernest Cognacq était, en affaires, un novateur et un indépendant par nature ; cette démarche n’était pas différente au regard des arts. Il collectionna la peinture anglaise avant que cela ne devint à la mode, y compris les œuvres de maîtres encore peu connus à l’époque ? parmi les toiles accrochées dans la galerie anglaise du musée, on remarquera un portrait en pied de Madame Lloyd, par Joshua Reynolds, une étude de Tête de jeune femme, les cheveux dénoués par George Romney et un portrait de la Princesse Metternich par Thomas Lawrence.
Si passionné qu’il fut  pour les beaux-arts, Cognacq n’en reconnaissait pas moins les limites. Lors de la célèbre vente Desfossés, en 1902, il confia ainsi à Camille Gronkowski, futur conservateur du Petit Palais : « Je suis venu acheter quelques peintures, mais je ne m’y connais pas beaucoup et je ne vois pas très clair. Pourriez-vous me donner quelques idées ? » Gronkowski, alors âgé de vingt-six ans donna quelques avis qui furent scrupuleusement suivis par le directeur de La Samaritaine, à son grand étonnement. Cette rencontre fortuite allait être le début d’une longue amitié, doublée d’une fructueuse collaboration.
Mais Cognacq avait par-dessus tout confiance en Edouard Jonas ( 1883 – 1961), pour l’aider à constituer l’essentiel de sa collection. Jonas – à la fois socialiste et marchand d’art bien établi – était l’antithèse parfaite du flegmatique et discret Cognacq. Possesseur de deux galeries d’art très en vues, l’une à Paris, l’autre à New York, il finit par devenir le principal conseiller et l’un des meilleurs fournisseurs de Cognacq pour les dessins, les tableaux, les sculptures, les meubles et les bibelots. Il l’aida ainsi à acquérir des dessins de Watteau et d’Ingres, des portraits de Greuze, des pastels de Quentin de la Tour, ainsi que maintes œuvres aussi mineures que charmantes, illustrant la vie bourgeoise du XVIIIe siècle et signées Jean-Baptiste Mallet, François Dumont et Philippe-Louis Debucourt.
En 1935, Cognacq atteignit ses quatre-vingt-six ans. Il fit alors ce qui paraissait impensable ; avec les conseils et l’assistance de Jonas, il résolut d’exposer au public une partie de ses collections, dans un espace réservé le La Samaritaine de luxe, succursale de son magasin installée sur le boulevard des Capucines, non loin de la place de l’Opéra. Son ambition proclamée était d’amener le grand public à prendre conscience de ce qu’il considérait comme les plus beaux exemples des arts visuels. Ce fut la première fois que les clients d’un grand magasin purent contempler de leurs yeux un Chardin ou un Latour dans un tel contexte.
Ces présentations temporaires eurent un tel succès que Cognacq décida de créer un musée sur trois niveaux dans un bâtiment adjacent à cette Samaritaine de luxe, qu’il légua à la Ville de Paris à sa mort.
Malheureusement, Cognacq ne vécut pas assez pour voir l’ultime réalisation de son dernier rêve : il mourut en février 1928, alors que ses collections étaient en cours d’installation.
Inauguré par Paul Doumer, président de la République, en 1929 (centenaire de la naissance d’Ernest Cognacq), le musée du boulevard des Capucines resta ouvert au public jusqu’en 1986, date de son transfert à l’hôtel Donon. Une visite au musée actuel ne fera que confirmer ce qu’Eugène Jolas rappelait en disant, en 1929, lors de l’ouverture de la collection Cognacq au public : «  Ernest Cognacq avait un goût infaillible. Lorsqu’il tombait sur un chef-d’œuvre rate et qu’il l’acquérait, il aimait à le contempler et à le caresser avec la plus grande satisfaction. Sa main aimait à s’attarder sur les contours d’une table ancienne ou d’un coffret rare ; il connaissait le vrai plaisir qui n’est su que des amateurs. »
Aujourd’hui, nous pouvons aussi partager ce plaisir, au moins celui des yeux et de l’esprit


8, rue Elzévir  75003  Paris
tel : 01 40 27 07 21

Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h 40
Fermé le lundi et les jours fériés

Metro: Saint-Paul
Bus: 29, 69, 76, 96.

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