Oscar Wilde : Aphorismes 7

Il est relativement rare, de nos jours, d’être témoin de passions vraiment grandioses. Elles sont le privilège de ceux qui n’ont rien à faire. C’est la seule raison d’être des classes oisives d’un pays.

Le secret de la vie n’existe pas. Le but de la vie, si elle en a un, est simplement de toujours aller à la recherche des tentations. Elles ne sont pas tellement nombreuses ; il m’arrive parfois de ne pas en trouver une seule de toute la journée. C’est assez atroce. On finit par douter de l’avenir.

Toute pensée est immorale. Son essence même est la destruction. Si nous pensons à quelque chose, nous le tuons ; rien ne survit à la réflexion.

Qu’est-ce que la vérité ? En matière de religion, c’est tout simplement l’opinion qui a survécu. En matière de science, c’est l’ultime sensation. En matière d’art, c’est notre dernier état d’âme.

Il est si facile de convertir les autres. Il est si difficile de se convertir soi-même.

Un peu de sincérité peut être fort dangereux, beaucoup de sincérité est tout à fait fatal.

La vie se joue de nous avec des ombres, comme un marionnettiste. Nous lui demandons du plaisir. Elle nous l’accorde, mais l’amertume et le désappointement lui succèdent. Nous trouvons sur notre chemin un noble chagrin qui donnera, pensons-nous, l’immense dignité de la tragédie à nos jours, mais il s’évanouit, des choses moins nobles le remplacent et un jour, devant une aurore grise et venteuse ou devant le silence d’argent d’un soir parfumé, nous voilà qui regardons avec une surprise endurcie ou avec un cœur lourd et de pierre, la tresse de cheveux mouchetée d’or que nous avions autrefois adorée avec tant d’ardeur et embrasée avec tant de passion.

Il existe deux manières de ne pas aimer l’art. La première est de ne pas l’aimer et la seconde de l’aimer rationnellement.

J’ai bien peur que les gens bons fassent beaucoup de tort dans ce monde. Leur plus grand tort est certainement de donner autant d’importance au mal.

Un sentimental est un homme qui donne à tout une valeur absurde et qui n’a aucune idée du prix de quoi que ce soit.

La ponctualité est une voleuse de temps.

Rien au monde ne peut être comparé à la dévotion d’une femme mariée. C’est une chose dont aucun homme marié n’a la moindre idée.

Il y a des choses qu’il est injuste de dire mais que l’on dit parfois au mauvais moment et en se trompant d’auditoire.

La signification de tout bel objet est au moins autant dans l’âme de celui qui le regarde que dans celle de celui qui l’a façonné. Ou plutôt, c’est le spectateur qui donne au bel objet ses innombrables significations, qui en fait une chose merveilleuse à nos yeux et qui le relie  à notre époque de manière inédite, de sorte qu’il devient une part essentielle de nos vies et un symbole de ce que nous désirerions tant posséder ou peut-être de ce que, l’ayant convoité, nous craignons qu’on nous accorde.

La Renaissance a été une grande époque parce qu’elle n’a pas cherché à résoudre de problèmes sociaux et que ces préoccupations ne l’intéressaient pas ; elle a permis à l’individu de se développer librement, naturellement, dans la beauté ; c’est pour cela qu’elle a produit des artistes immenses et singuliers et des hommes immenses et singuliers.

En Angleterre, les gens essayent vraiment de briller au petit déjeune, ils sont épouvantables ! Seuls les gens ternes brillent au petit déjeuner.

Quand on est amoureux, on commence par se décevoir soi-même et on finit par décevoir les autres. C’est ce que les gens appellent l’amour romantique.

Le secret de la vie est de refuser toute émotion qui ne soit pas seyante ;

Un artiste n’est jamais morbide. L’artiste peut tout exprimer.

Une idée qui n’est pas dangereuse ne mérite pas d’être appelée idée.

Lorsqu’un homme est assez vieux pour faire le mal, il devrait être assez vieux pour faire le bien.

Le Livre de la Vie commence avec un homme et une femme. C’est l’Apocalypse qui le clôt.

Ne me dites pas que vous avez épuisé la vie. Quand quelqu’un dit cela, on sait bien que c’est la vie qui l’a épuisé.

Lorsqu’une femme se remarie, c’est qu’elle détestait son premier mari. Lorsqu’un homme se remarie, c’est qu’il adorait sa première femme. Les femmes tentent leur fortune, les hommes risquent la leur.

La plus haute critique est en fait le journal de notre âme. Celui-ci fascine davantage que l’Histoire car on n’y trouve que soi-même. Il a bien plus de charme que la Philosophie car son sujet est concret et non abstrait, réel et non vague. C’est l’unique forme civilisée d’autobiographie car il ne rend pas compte des événements mais des pensées de notre vie, ne rend pas compte des accidents matériels de notre vie concernant les actions ou les circonstances, mais des états d’âme et des passions imaginatives de l’esprit.

Pour savoir la moindre chose sur soi-même, il faut tout savoir sur les autres.

Le devoir est ce que l’on attend des autres, ce n’est pas ce que l’on fait soi-même.

Après un bon dîner, on peut pardonner à tout le monde, même à sa famille.