samedi 17 décembre 2011

Oscar Wilde : Aphorismes 8


Parlez à toutes les femmes comme si vous les aimiez et à tous les hommes comme s’ils vous ennuyaient et, à la fin de votre première saison dans la bonne société, vous aurez la réputation de posséder un tact des plus parfaits.

L’homme – ce pauvre homme malhabile, sérieux, nécessaire – appartient à un sexe qui est rationnel depuis des millions et des millions d’années. Il n’y peut rien ; c’est dans son espèce. L’histoire des femmes est tout à fait différente. Leurs protestations pittoresques se sont toujours élevées contre la seule existence du bons sens ; elles en ont immédiatement vu les dangers ;

De nos jours, le bon sens du mari est la raison essentielle du fiasco d’un grand nombre de mariages. Comment peut-on espérer qu’une femme soit heureuse avec un homme qui veut absolument la traiter comme si elle était un être parfaitement rationnel ?

Il est fort vulgaire de parler de ses affaires. Seuls les agents de change le font et encore, seulement lorsqu’ils sont invités à dîner.

Ne rien faire est un travail extrêmement pénible. En revanche, travailler dur ne me gêne pas s’il n’y a aucune finalité arrêtée.

Ne faire absolument rien est ce qu’il y a de plus difficile au monde, de plus difficile et de plus intellectuel. Pour Platon, passionné de sagesse, c’était la plus noble forme d’énergie. Pour Aristote, passionné de savoir, c’était aussi la plus noble forme d’énergie. La passion de la sainteté a conduit dans cette voie le bienheureux et le mystique de l’époque médiévale.

La jeunesse ! Il n’y a rien de tel. Il est absurde de parler de l’ignorance de la jeunesse. Les opinions auxquelles j’accorde un tant soit peu de crédit aujourd’hui sont celles de personnes beaucoup plus jeunes que moi. Elles semblent me précéder. La vie leur a révélé sa plus récente merveille.

Le romanesque vit de la répétition, et la répétition transforme une inclination en art.

J’adore les plaisirs simples. Ils sont le dernier refuge des personnes compliquées.

Il n’y a rien de tel que la jeunesse. La vie des gens d’âge moyen est hypothéquée. Celle des gens âgés est au débarras. Mais la jeunesse règne sur la vie. Un royaume s’ouvre à elle. Tout le monde naît roi et meurt en général exilé – comme presque tous les rois.

Tout crime est vulgaire, exactement comme toute vulgarité est un crime.

La société, du moins la société civilisée, n’est jamais vraiment prête à croire ce qui peut être dit à l’encontre de ceux qui sont à la fois riches et fascinants. Elle sent instinctivement que les bonnes manières  sont plus importantes que la morale et, selon elle, la plus haute respectabilité a bien moins de valeur que la possession d’un bon cuisinier. D’ailleurs, c’est une bien piètre consolation que d’apprendre que celui qui vous a offert un mauvais dîner ou un vin de mauvaise qualité est irréprochable dans sa vie privée. Les vertus cardinales elles-mêmes ne suffisent pas à racheter des entrées servies presque froides.

Alors que, selon l’opinion de la bonne société, se laisser aller à la contemplation est la faute la plus grave que puisse commettre un citoyen, selon l’opinion la plus cultivée, c’est la seule occupation correcte pour l’homme.

Si une femme veut garder un homme, il lui suffit de faire appel au pire en lui.

Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles.

La beauté a autant de significations que l’homme a d’états d’âme. C’est le symbole des symboles. Elle révèle tout parce qu’elle n’exprime rien. Lorsqu’elle se montre à nous, elle nous désigne tout l’embrasement coloré du monde.

Les hommes veulent toujours être le premier amour d’une femme. C’est là leur vanité maladroite. Les femmes sont un sens plus sûr des choses. Ce qu’elles aiment, c’est être le dernier amour d’un homme.

On ne connaît pratiquement pas, parmi nous, d’esprit s’exprimant un tant soit peu librement. Les gens dénoncent le pécheur, et pourtant ce n’est pas le pécheur qui nous fait honte mais l’imbécile. L’imbécillité est le seul péché.

On regrette de perdre ses habitudes, même les pires. C’est sans doute celles qu’on regrette le plus. Elles font tellement partie de notre personnalité.

C’est par l’art, et seulement par l’art, que nous pouvons nous réaliser à la perfection ; par l’art, et seulement par l’art, que nous pouvons nous protéger des sordides périls de l’existence réelle

Un homme capable de dominer un dîner londonien est capable de dominer le monde. L’avenir appartient au dandy. Les gens aux goûts exquis dirigeront le monde.

Il arrive souvent que les vraies tragédies de la vie se produisent de manière si peu  esthétique qu’elles nous blessent par leurs fruste violence, leur incohérence absolue, leur absurde manque de signification, leur manque total de style. Elles nous affectent exactement comme nous affecte la vulgarité. Elles nous donnent l’impression de n’être que force brutale et c’est contre cela que nous nous révoltons. Il arrive cependant que notre vie soit traversée par une tragédie qui possède des éléments de beauté. S’ils sont réels, l’ensemble séduit notre goût des effets dramatiques. Nous nous rendons compte tout à coup que nous ne sommes plus les acteurs de la pièce mais ses spectateurs. Ou plutôt que nous sommes les unes et les autres. Nous nous regardons nous-mêmes et le merveilleux spectacle suffit à nous charmer.

Lorsqu’une femme découvre que son mari est totalement indifférent à elle, soit elle néglige sa toilette, soit elle se met à porter les chapeaux très chics que lui paye le mari d’une autre femme.

Il est immoral de se servir de la propriété privée pour soulager les horribles maux que cause l’institution de la propriété privée.

Pour un homme ou une nation, le mécontentement est le premier pas vers le progrès.

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