samedi 17 décembre 2011

Oscar Wilde : La Vérité Des Masques

« Il ne faut regarder ni les choses ni les personnes ; il ne faut regarder que dans les miroirs ; car les miroirs ne nous montrent que des masques «  (un des derniers aphorismes d’Oscar Wilde, écrit en français)


Hugo von Hofmannsthal, dans un essai sur Oscar Wilde, fit remarquer que « le destin de cet homme aura été de porter successivement trois masques : Oscar Wilde, C. 3.3. et Sébastian Melmoth ».
Le premier masque était celui que lui avaient donné ses parents (Oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde) ; le deuxième était le numéro de la cellule qui lui avait été attribuée à la prison de Reading ; il avait lui-même choisi sont troisième pasque, celui des dernières années de sa vie, après sa libération. C’est ce masque qui apparaît comme titre sur la couverture  de l’édition originale du recueil d’aphorismes traduit en partie ici : Sebastian Melmoth.
Au printemps 1877, lors d’un voyage en Italie, Oscar Wilde s’arrêta à Gêne, et fut bouleversé par le Saint Sébastien de Guido Reni : quelques semaines plus tard, après s’être recueilli sur la tombe de Keats à Rome, il écrivit : «  La vision du Saint Sébastien de Guido, tel que je l’avais vu à Gênes, me revint, un magnifique garçon aux boucles brunes et épaisses, aux lèvres rouges, attaché à un arbre par ses sinistres ennemis ; bien que transpercé de flèches, il lève des yeux pleins de passion divine en direction de la Beauté éternelle du Paradis qui s’ouvre à lui. » Toute sa vie il s’est souvenu du Saint Sébastien. Quant à Melmoth, c’est le nom du personnage solitaire, mystérieux et satanique rejeté par tous, le héros de Melmoth ou l’homme errant, roman célèbre de son grand-oncle, le révérend Charles Maturin.
Les aphorismes traduits ici ont été publiés en 1904, quatre ans après la mort de leur auteur, par Arthur L. Humphreys, qui s’appuyait sur un recueil « analogue » qui avait lui-même publié en 1895 sous le titre Oscariana : Epigrams. Une lettre de Wilde à Humphreys (novembre 1894, nous apprend que « le livre[Oscariana], dans son état actuel, est tellement mauvais, tellement décevant, que je suis en train d’écrire une nouvelle série d’aphorismes et que je vais devoir changer une grande partie du texte. Les pièces de théâtre, tout particulièrement, sont mal représentées. De longs passages sont cités là où un aphorisme aurait suffi. Ce livre, s’il est bien fait, devrait être quelque chose de magnifique […]  Mais le faire correctement demande du temps, et je suis très occupé, j’ai tant de choses à faire ; j’y travaille cependant un peu tous les matins […] Après la publication de l’œillet vert, ce livre, du « vrai Oscar Wilde », devrait être très raffiné et distingué. »
Le recueil de 1904 s’intitulait simplement Sebastian Melmoth, Oscar Wilde n’étant mentionné qu’entre crochets. En 1894, Oscar Wilde travaillait donc sur le recueil, et s’il n’a pas pu en terminer la révision, c’est sans doute parce qu’en avril 1895 il était en prison. Le livre a été achevé par sa femme et son éditeur ; il est peu probable, toutefois, qu’ils aient publié un texte sans l’accord de Wilde.
A l’exception des Sentences philosophiques à l’usage de la jeunesse, publiées en revue en décembre 1894, ces aphorismes, tous tirés des œuvres d’Oscar Wilde, avaient parfois été légèrement modifiés, dans un souci constant de donner de leur auteur une image plus respectable. Un exemple parmi d’autres : dans Le Critique comme artiste, il avait écrit : « L’humanité aura toujours de l’affection pour Rousseau parce qu’il a confessé ses péchés devant le monde et non devant un prêtre. » Dans l’édition de 1904, « prêtre » est devenu « ami » C’est le texte original de Wilde qui a été traduit ici, l’ordre du recueil a cependant été respecté, quoique certains aphorismes, trop datés, n’aient pas été retenus. Il ne faut pas oublier non plus que le texte avait été retravaillé par Wilde et que deux des pièces de théâtre,, un mari idéal et Il importe d’être constant, n’ont été publiées qu’un 1899, après avoir subi de nombreux changements lors de la mise en scène.
Cet ensemble donne un aperçu de la pensée et de l’esprit de Wilde, et si les aphorismes sont parfois contradictoires, ils n’en sont pas moins –précisément- le reflet exact de sa personnalité ; Wilde, en public, offrait un tel feu d’artifice de mots d’esprit et de paradoxes que le poète Yeats a dit qu’il donnait l’impression de les avoir préparés à l’avance ; il était, avant ses démêlés avec la justice, très sollicité par la bonne société londonienne, qui appréciait son talent d’improvisateur. Dans ses œuvres publiées, il est parvenu à retrouver cet esprit pétillant afin que, lues ou mises en scène, leur légèreté fasse justement penser à se conversation ; c’est d’ailleurs pour préserver le ton  de l’improvisation que deux de ses grands textes critiques on tété écrits sous forme de dialogues. Pour Wilde, il n’y avait aucune différence entre écriture et conversation ; en 1897, il a confié à André Gide : «  Ma vie est pareille à une œuvre d’art. Un artiste ne recommence jamais deux fois la même chose. »
Enfin, on pourrait rapprocher Oscar Wilde d’un écrivain, apparemment éloigné de lui : Samuel Beckett (encore qu’ils aient fréquenté la même école, à des époques différentes) Oscar Wilde écrivit dans Une Femme sans importance : «  Dans un temple, tout le monde devrait être sérieux à l’exception de l’objet du culte. » Soixante ans plus tard, dans l’Innommable, Beckett écrit : «  Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire entrer l’objet du culte. » En renvoyant, comme dans un miroir, une image inversée de l’esprit d’Oscar Wilde, Beckett rendant sans doute hommage à son compatriote

                                                            Bernard  Hoepffner

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