Il ne peut pas exister de bonne influence. Toute influence est immorale – immorale du point de vue scientifique.
Les mots n’ont pas seulement une musique aussi douce que celle de la viole et du luth, des couleurs aussi riches et chatoyantes que celles qui nous font admirer les toiles des Vénitiens ou des Espagnols, et une forme plastique aussi sûre et aboutie que celle qui se révèle dans le marbre ou le bronze, mais la pensée, la passion et la spiritualité leur appartiennent aussi et n’appartiennent, d’ailleurs, qu’à eux seuls.
Rien n’est aussi absolument pathétique qu’un paradoxe d’une réelle beauté. Le jeu de mots est un clown parmi les plaisanteries, le paradoxe bien tourné est le comédien parfait, et les meilleurs des comédies tendent à la tragédie, exactement comme le tranchant le plus acéré de la tragédie est souvent tempéré d’un peu d’humour. Notre esprit est parcouru d’humeurs comme un tissu est parcouru de couleurs et nos humeurs paraissent parfois impropres. Tout ce qui est vrai est impropre.
Plus on étudie la vie et la littérature, plus on ressent que derrière tout ce qui est magnifique se tient l’individu, et que ce n’est pas le moment qui fait l’homme mais l’homme qui crée l’époque.
Pour connaître l’origine et la qualité d’un vin, il n’est pas nécessaire de boire le tonneau entier.
Les gens laids et stupides sont les mieux lotis dans ce monde. Ils peuvent s’asseoir confortablement et, bouche bée, regarder la pièce qui se joue devant eux. S’ils ne savent rien de la victoire, au moins la connaissance de la défaite leur est-elle épargnée.
L’égotisme ne manque pas d’attraits, même dans la vie réelle. Lorsque les gens nous parlent des autres, ils sont habituellement ennuyeux. Lorsqu’ils nous parlent d’eux-mêmes, ils sont presque toujours intéressants et s’il était possible de les arrêter lorsqu’ils deviennent assommants, comme on referme un livre qui ne nous amuse plus, ils seraient parfaits, absolument.
De nos jours, tout grand homme a ses disciples, et c’est invariablement Judas qui écrit sa biographie.
Plus d’un jeune homme débute dans la vie doté d’un talent naturel pour l’exagération, lequel, s’il est entretenu dans un contexte propice par un entourage bienveillant ou nourri par l’imitation des meilleurs modèles, peut devenir réellement grand et merveilleux. Mais, en règle générale, il n’y parvient pas. Soit parce que le jeune homme prend machinalement des habitudes d’exactitude, soit parce qu’il se met à fréquenter la compagnie de gens âgés et bien informés. Deux choses également fatales pour son imagination.
Quant à croire aux choses, je peux croire à n’importe quoi, à condition qu’il s’agisse d’une chose incroyable.
« Connais-toi toi-même » était écrit sur le portail du monde antique. Sur le portail du nouveau monde, il sera écrit : « Sois toi-même. » Or le message du Christ aux hommes était simplement : « Sois toi-même. » Voilà le secret du Christ.
Les femmes ordinaires ne touchent jamais notre imagination. Elles sont limitées à leur siècle. Elles ne sont jamais transfigurées par le charme. On comprend leur esprit aussi aisément qu’on connaît leurs chapeaux. On sait toujours où les trouver. Chez aucune d’elles on ne pourra trouver de mystère. Elles font du cheval au parc le matin et papotent autour du thé l’après-midi. Elles ont leur sourire stéréotypé et leurs manières à la mode.
Ne dénigrez pas les cheveux teints et les visages peints. Ils ont un charme extraordinaire – parfois.
Avoir été bien élevé est un gros handicap de nos jours. Cela ferme tant de portes.
Les gens qui m’ont adoré – ils n’ont pas été bien nombreux, mais il y en a eu quelques-uns – ont toujours insisté pour continuer à vivre longtemps après que j’ai cessé de m’intéresser à eux ou eux à moi. Ils ont pris de l’embonpoint et sont devenus ennuyeux et, quand je les rencontre, ils se lancent dans les souvenirs. Cette horrible mémoire des femmes ! Quelle chose effarante ! Et comme elle révèle leur totale stagnation intellectuelle !
Les examens sont de la fumisterie absolue de bout en bout. Si un homme est un gentleman, il en sait bien suffisamment, et s’il n’est pas un gentleman, tout ce qu’il aura appris ne peut que lui faire du mal.
Le but de l’Art n’est pas seulement la vérité mais aussi la beauté dans toute sa complexité. L’Art n’est lui-même qu’une forme d’exagération et la sélection, qui est l’esprit même de l’Art, n’est rien d’autre qu’un mode très intense de mise en valeur.
Le slogan populaire de notre époque est : « Retournons à la Vie et à la Nature, elles recréeront l’Art pour nous, son sang recommencera à courir dans ses veines ; elles redonneront de la vitesse à sa course et de la force à sa main. » Mais hélas ! Nos efforts, bien gentils et bien intentionnés, font fausse route. La Nature est toujours en retard sur l’époque. Et quant à la Vie, elle est le solvant qui décompose l’Art, l’ennemi qui dévaste sa maison.
Les paradoxes fonctionnent sur le même mode que la vérité. Pour rester la réalité, il nous faut la voir sur la corde raide. Lorsque les vérités deviennent des acrobates, nous pouvons les juger.
La vie imite l’art bien plus que l’art n’imite la vie… Les Grecs, avec leur sens artistique sûr, l’avaient compris, car ils installaient la statue d’Hermès ou celle d’Apollon dans la chambre d’une jeune mariée pour qu’elle puisse donner naissance à des enfants aussi beaux que les œuvres d’art qu’elle voyait pendant son extase ou sa douleur. Ils savaient que la vie non seulement emprunte à l’art la spiritualité, la profondeur de pensée et de sentiment, l’inquiétude ou le repos de l’âme, mais qu’elle est capable d’emprunter les lignes et les couleurs mêmes de l’art, de reproduire la dignité de Phidias aussi bien que la grâce de Praxitèle. Ce qui explique pourquoi les Grecs étaient hostiles au réalisme. Ils ne l’appréciaient pas pour des raisons purement sociales. Ils sentaient que le réalisme rend les gens inévitablement laids et ils avaient parfaitement raison.
La fidélité est à la vie affective ce que la cohérence est à la vie intellectuelle – simplement la confession d’un échec.
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