mercredi 2 novembre 2011

Noël Ethnologie

Chapitre premier : Origines du récit, ou récit des origines ? 

A l'instar de toute tradition, celle de Noël renvoie à la question de ses origines et peut-être encore davantage que d'autres à celles de nos sociétés occidentales, car elle fait sans doute partie de nos fêtes les plus anciennes. Cette pérennité exceptionnelle pose alors la question des raisons d'une telle permanence ; celles notamment des fonctions sociales qu'elle continue d'assurer, des symboles qu'elle incarne encore et des sentiments que toujours elle inspire. Fête du solstice d'hiver, puis fête chrétienne de la Nativité, nous renvoyant à l'aube des temps ou au début de notre ère, Noël évoque de lointains rituels et d'archaïques mythologies. Cela explique sans doute qu'elle ait donné lieu à des théories diverses et souvent contradictoires, qu'il s'agisse de la date de son apparition, des références païennes ou chrétiennes, des spécificités culturelles et géographiques
Lire la suite en cliquant sur "plus  d'info"





Sans entrer dans le détail des interprétations théologiques, folkloriques, ou encore dans celles de l'histoire des religions, il est néanmoins possible de distinguer deux grandes thématiques. La première tente de mettre au jour les racines païennes d'une fête chrétienne en la rapportant à une fête du solstice d'hiver, c'est celle des historiens et des mythologues. La seconde essaie au contraire de fonder ses origines purement chrétiennes sur le mode de la rupture avec le monde païen et se trouve plutôt chez les théologiens.
Le point de vue étymologique par lequel il est d'usage de commencer n'est pas dans ce cas décisif. " Noël " viendrait en effet soit du gaulois noio (nouveau) et de hel (soleil), il signifierait " nouveau soleil " et serait donc lié à la renaissance du soleil au moment du solstice d'hiver. Mais " Noël " viendrait aussi du latin natalis (naissance), sous-entendu dies (jour de naissance) et évoquerait la naissance de Jésus. L'étymologie étant décidément labile, ce nom peut encore être issu du latin novella, mot qui désignait au Moyen Age les cris de joie populaires à l'annonce des bonnes nouvelles, comme la naissance d'un héritier du trône ou le mariage d'un prince. La plupart des traductions mettent l'accent sur la naissance : en anglais, Christmas signifie littéralement la messe du Christ. En italien Natale, comme Natividad en espagnol et Natal en portugais ont la même origine. En allemand, enfin, Weihnachten renvoie aux nuits sacrées, car elle dure deux jours du 24 décembre au 26 inclus.
En réalité, l'étymologie contient le paradoxe des origines de la fête qui implique deux conceptions différentes du temps, celle d'un " éternel retour " célébré notamment par des fêtes saisonnières se déroulant au moment du solstice d'hiver, c'est-à-dire une conception mythique, et celle, historique, c'est-à-dire irréversible, du monde judéo-chrétien  qui marque le début de notre ère.
Le solstice  d'hiver, du latin sol, soleil, et stare, s'arrêter, qui signifie littéralement le soleil s'arrête, en marquant la fin du déclin du soleil annonce aussi sa renaissance. Or cette " transition astronomique " a toujours été effrayante pour les hommes, faisant resurgir des peurs archaïques liées à la crainte de ne pas voir le soleil renaître. Elle est aussi une période dangereuse où les morts hantent les vivants. On conçoit alors que le soleil ait été l'objet de différents cultes très tôt attestés dans toute l'aire indo-européenne, donnant ultimement lieu à la création d'une théologie solaire, qui sera l'aspect le plus déterminant dans l'émergence du monothéisme chrétien  et dont de nombreux éléments vont être réinterprétés dans la fête de Noël.
Du nord au sud, l'Europe a ainsi connu des célébrations du solstice d'hiver. La fête de Yule, par exemple, qui est présente dans toute la Scandinavie, était à la fois une célébration des morts et de la fertilité illustrant la rencontre entre les cultes funéraires et agraires. Elle appartient à ce que Mircea Eliade a nommé les " rites de régénération du temps ". Pour les populations nordiques, cette période était favorable au rapprochement des morts et des vivants et, à l'apogée de la fête, les défunts envahissaient le monde pour favoriser un retour de la vie semblable à celui qui s'observe dans le règne végétal. Dans ce modèle dit " agraire ", la mort n'est alors qu'un état provisoire et les longues nuits d'hiver qui favorisent ces cultes anticipent déjà la renaissance de la végétation.
Au sud, dans l'Empire romain à la même période exactement, on pouvait assister au retour d'une des fêtes les plus anciennes et les plus populaires de la religion romaine, les Saturnales, qui se déroulaient entre le 17 et le 24 décembre. Ces libertas decembris, chantées par Horace, célébraient le règne de Saturne, dieu des Semailles et de l'Agriculture, règne qui correspondait à un âge d'or où l'esclavage et la propriété étaient inconnus. La fin de l'année était alors vouée à la licence la plus effrénée, l'ordre hiérarchique était systématiquement inversé, le fait le plus marquant étant l'abolition de la distinction entre l'homme libre et l'esclave, ce dernier pouvant se moquer de son maître, s'enivrer comme ses supérieurs. Le roi des Saturnales, un jeune soldat élu par tirage au sort, la clôturait en se donnant la mort, après avoir goûté à tous les plaisirs pendant trente jours. Cette présence des morts, le sacrifice comme les orgies, marquait ainsi la fin de l'année. Les derniers jours, lors de la fête des Sigillaires, les Romains échangeaient également des présents, organisaient des festins et décoraient leurs maisons de lierre. C'est là sans doute le plus lointain souvenir du réveillon.
Arnold Van Gennep a vivement critiqué cette théorie dite " solsticiale " en rappelant que la date du solstice d'hiver, soit le 21 décembre, ne correspondait pas à celle de Noël, pas plus que le solstice d'été à celle de la Saint-Jean : " Le folkloriste qui expliquera ce décalage de quatre jours à la Noël comme celui de trois jours à la Saint-Jean aura bien mérité de notre science. " Ces quatre jours n'ont pourtant pas troublé d'autres érudits qui, à l'instar de James Frazer, ont assimilé ce décalage à une erreur des Anciens : " Une chose est certaine, écrit-il, c'est que le solstice d'hiver que les Anciens plaçaient par erreur le 25 décembre était célébré dans l'Antiquité comme l'anniversaire de la naissance du soleil, et qu'on faisait des feux de fête et de joie en l'honneur de cet heureux événement. " Pour Noël, ajoute-t-il, " nous n'en sommes pas même réduits aux conjectures... la fête n'est pas autre chose que la continuation, sous un nom chrétien, de cette ancienne fête du soleil. Une coutume semble d'ailleurs avoir survécu dans la chrétienté moderne, celle de la bûche de Noël qui devait ranimer le feu solaire ". Comme la Saint-Jean, cette célébration est donc une fête du feu qui porte l'empreinte de ses origines païennes. Ainsi la Nativité etl'Epiphanie, fêtes jumelles, reprendront le même grand rythme qui correspond dans le calendrier romain aux Saturnales et aux Calendes de janvier, dédiées respectivement à Saturne et à Janus.
Une autre survivance païenne se retrouve dans le fameux cycle des douze jours auquel appartient Noël et qu'il inaugure. Dans la pensée populaire, ce cycle qui s'achève le jour de l'Epiphanie est considéré comme une réduction de l'année entière, les douze jours correspondant aux douze mois. Cette croyance est très ancienne puisqu'on la trouve déjà chez les Aryens de l'époque védique en Inde et de multiples superstitions sans rapport avec le christianisme s'y rattachent. James Frazer fit l'hypothèse que cette période intercalaire était destinée à mettre en accord l'année lunaire et l'année solaire. Période extraordinaire où le temps est littéralement suspendu, les règles habituelles de vie ne s'appliquent plus, la loi et la morale sont aussi en attente. Il s'agit là d'une sorte d'" interrègne ", selon J. Frazer, dont le " roi de la Fève " peut être un symbole. Le douzième jour est du reste le jour des Rois dans certains pays d'Europe



Martyne Perrot est chargée de recherche en sociologie au CNRS, où elle dirige des travaux concernant entre autres, les mutations du monde rural et la question de l'écriture en sciences sociales. Elle a publié, outre des ouvrages de sociologie et d'ethnologie, un roman : Les Mariés de l'île Maurice (Grasset, 1983).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire