La marquise de la Païva (1819-1884) fut probablement la plus célèbre courtisane à Paris sous le Second Empire. Le très bel hôtel de la Païva, de style éclectique, situé au n° 25 de l’avenue des Champs-Elysées, témoigne encore aujourd’hui du luxe dans lequel elle a vécu.
Récit de l’ascension fulgurante d’une des plus belles femmes de son époque : Esther Lachmann est née à Moscou en 1819 de parents juifs polonais vivant humblement. Fuyant la misère, elle épouse tout d’abord un modeste tailleur français, Antoine Villoing, qui l’emmène vivre à Paris ; elle en profite pour changer de prénom et se faire appeler Thérèse, sonnant mieux français. Elle se lie au pianiste mondain Henri Herz dont elle devient la maîtresse et fait ainsi connaissance des élites parisiennes : Franz Liszt, Richard Wagner, Emile de Girardin ou encore Théophile Gautier. Sa "carrière" est lancée...
Séparée de son mari, elle s’expatrie d’abord à Londres où elle séduit plusieurs aristocrates britanniques. En 1848, elle revient à Paris et épouse en 1851 un riche Portugais, le marquis Aranjo de la Païva. Bien naïf, celui-ci fut vite échaudé puisque dès le lendemain de leur nuit de noce, elle lui fit comprendre qu’elle ne serait plus jamais à lui. Cet homme devait être absolument fou d’elle puisqu’il lui offre néanmoins une somptueuse demeure située au n° 2,8 places Saint-Georges (9 e arrondissement) ; il s’agit d’un bel hôtel de style troubadour, construit par Edouard Renaud, où elle s’installe de 1851 à 1852.
Mais à la même époque, elle s’entiche d’un aristocrate prussien très fortuné, le comte Guido Henckel von Donnersmarck, cousin de Bismarck, qu’elle finira par épouser en 1871 une fois son mariage annulé. Elle va copieusement profiter des largesses de son protecteur... Grâce à la fortune de celui-ci, elle commence par se faire construire un magnifique hôtel, situé au n° 25 des Champs-Elysées (photo ci-contre), qui prendra le nom d’hôtel de la Païva. Construit par l’architecte Pierre Manguin entre 1856 et 1866, c’est un véritable chef-d’œuvre du style Napoléon III : de style éclectique, c’est un pastiche de la Renaissance, reconnaissable à ses façades abondamment décorées.
A l’intérieur, le rez-de-chaussée est dévolu aux pièces de réception, avec un plafond de Baudry dans le grand salon. Dans la salle à manger, le décor est confié à l’ébéniste Kneib, avec des bas-reliefs de Dalou. L’escalier est recouvert d’onyx. La chambre de la maîtresse de maison, à l’étage, est dotée d’une somptueuse cheminée en malachite verte avec une sculpture d’Albert Carrier-Belleuse. Pour ce qui est des décors peints, la Païva fait appel à Jean-Léon Gérôme, Antoine Hébert. Le mobilier fut exécuté par de grandes maisons : Winckelsen et Kernst. Cet hôtel est aujourd’hui bien visible même si un bâtiment en rez-de-chaussée sur l’avenue, ancien bureau de change devenu un restaurant branché ("La Païva") décoré par Jacques Garcia en masque la façade. Il appartient aujourd’hui à un cercle privé, le Travellers’ club, qui veille à l’entretien de son décor intérieur.
Mais l’appétit de la marquise ne s’arrêta pas là... En 1857, elle fait acheter à Donnersmarck le somptueux et imposant château de Pontchartrain dans les Yvelines, datant du XVIIe siècle, édifié pour les Phélypeaux (puissante famille qui compta au total 11 ministres sous l’Ancien Régime). C’est à nouveau Pierre Manguin qui le restaure. Elle y reçoit nombre de personnages politiques comme Gambetta.
Mais la Païva cultive également un amour extravagant pour les bijoux... Certains de ses bijoux supplantaient en beauté, dit-on, ceux de l’impératrice Eugénie. Les plus célèbres sont les fameux diamants jaunes dits diamants "Donnersmarck", que son amant lui offre : des pierres d’un jaune exceptionnel, l’un de 82 carats, l’autre de 102 carats... Restés longtemps dans la descendance des Donnersmarck, ils sont d’ailleurs passés en vente chez Sotheby’s Genève en mai 2007 et ont atteint les sommes colossales de 3,5 et 5 millions de francs suisses.
Une autre version :
LA PAIVA ET SES TROIS MARIS... En 1836, Thérèse Lachmann, fille d'un pauvre tisseur juif polonais, vivait à Moscou dans une affreuse misère. Elle avait seize ans, une sensuelle et dangereuse beauté. Elle se vendait par nécessité, mais repoussait les hommes vieux et mal bâtis: toujours, elle affirmait que la beauté et la santé sont contagieuses! François Villoing, tailleur établi à Moscou à la sortie du ghetto, l'épouse. Mais la vie mesquine qu'il pouvait lui offrir rebutait la jeune femme. Elle s'enfuit, un an après son mariage, lui laissant son enfant, et gagna la France, dévorée d'ambition.
À Paris, elle jeta son dévolu sur Henri Hertz, pianiste de talent, riche, charmant, rêveur et prodigue. Chez lui, elle connut tous les artistes et écrivains du temps, et acheva de devenir une "mondaine" accomplie. Elle continuait d'ailleurs à être infidèle, par plaisir ou par intérêt. Son mari accourut de Russie pour la prendre. Il se vit repousser avec dédain et mourut peu après, désespéré. Libre, Thérèse se sentit invincible. Jeune, belle, avertie et sensuelle, prête à tout, rien ne pouvait lui résister. Elle disait crûment: "Si les alouettes ne tombent pas toutes rôties, les pigeons tous plumés tombent dans mon lit."
Mais, en 1848, ruiné, Hertz partit faire une tournée aux Etats-Unis, et Thérèse, sans le sou, tomba très malade, dans un pauvre hôtel. Elle appela Théophile Gauthier, et c'est alors qu'elle lui dit avec une volonté farouche: "Si j'en reviens, je veux avoir aux Champs-Élysées, le plus bel hôtel de Paris. Rappelle-toi de ça. Guérie, mannequin mondain d'une couturière perspicace qui lui ouvrit un large crédit (sûre de son avenir), elle séduisit à Londres l'opulent Lord Stanley; à Paris, le duc de Guiche, le duc de Gramont, etc. Et enfin, le marquis Aranjo de Paiva, noble Portugais. Il était fou d'amour...
Elle avait besoin d'un nom: Paiva sonnait bien. Elle sut si habilement attiser son désir, l'affoler sans le satisfaire, qu'elle l'amena à l'épouser pour l'avoir à lui. Mais elle lui déclare après la nuit de noces: "Vous m'avez voulue, vous m'avez eue. Je voulais un nom, je l'ai, nous sommes quittes." Et elle lui signifia son congé. Il y eut séparation de corps et de biens; le marquis retourna au Portugal, puis revint à Paris, toujours aussi joueur et viveur. On le disait toujours riche : il était totalement ruiné. Si bien qu'il finit par se suicider d'un coup de revolver dans la bouche.
Thérèse, veuve, gravit encore un échelon. Le destin mit alors sur sa route le comte, puis duc de Hencket de Donnersmark, richissime noble Silésien. Avec lui aussi, envoûté dès le premier regard, elle joua le tout pour le tout, le repoussa d'abord, le laissa quitter la France, mais le rejoignit à Berlin, y reprit son jeu de coquetterie implacable et céda enfin quand il lui eut promit deux millions par an!... Elle était déjà mûre, lui plus jeune qu'elle de plusieurs années et fort bel homme. Elle avait un passé terrible, mais elle avait pour lui un charme qui le retint enchanté jusqu'à sa mort.
Il l'épousa, lui acheta le château de Pontchartrain, un hôtel rue St-Georges, pendant qu'elle faisait enfin bâtir aux Champs-Élysées celui dont elle rêvait. D'une richesse folle, d'un goût incertain, il coûta trois à quatre millions-or. Tous les artistes de l'époque y travaillèrent. L'escalier était d'onyx, le lit lui coûta cent mille francs-or. "Je veux un lit propre" avait-elle déclaré. La comtesse Hencket reçut là tous les hommes célèbres d'alors: Arsène Houssaye, Théophile Gauthier, Paul de Saint-Victor, Eugène Delacroix, E. de Girardin, etc... Mais aucune vraie grande dame ne consentit à franchir son seuil...
Les réunions, à sa table magnifique, étaient brillantes. Sous les serres chaudes de Pontchartrain, il y avait en toutes saisons des fruits mûrs. Artistes et gens de lettres se régalaient et faisaient assaut d'esprit. Parfois, Mme de Hencket évoquait les étranges souvenirs de sa vie, orgueilleuse de sa fabuleuse ascension. Devenue cousine du prince de Bismarck, elle servait et renseignait celui-ci de son mieux, car on approchait de 1870 et il s'agissait d'endormir la vigilance du gouvernement français. Rentrée en Allemagne durant la guerre, elle revint si tôt après la défaite et rouvrit son hôtel...
Mais elle ne trouva plus sa vogue de naguère. Bismarck rêvait d'une entente avec la France et désirait une entrevue avec Gambetta. La comtesse (qui, maintenant, nourrissait des ambitions politiques) tâcha de convaincre le tribun, usa de tous ses charmes. Il promit, puis décommanda le voyage à Berlin. Et le gouvernement, moins séduit que le naïf Gambetta, pria la dame de repasser la frontière, car ses agissements inquiétaient. Le roman de Thérèse Lachmann, devenue princesse, alliée à la famille impériale allemande, s'acheva sans bruit dans un château de Silésie, en 1884... Et son mari l'aima au-delà de la mort.
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