samedi 7 janvier 2012

Paris et son Musée National de la Céramique



Les visiteurs de ce musée unique, dominant la Seine, ont d’abord la surprise de découvrir un magnifique ensemble de reproductions de certains des plus grands chefs-d’œuvre du Louvre et du Vatican, dont le Portrait de Flore par Titien, l’Embarquement pour Cythère par Jean-Antoine. Watteau, la Délivrance de saint Pierre par Raphaël, la Portrait d’homme par le Tintorer et l’Autoportrait par Antoine Van Dyck. Ils sont encore plus surpris de constater qu’elles ont été réalisées sur des feuilles de porcelaine, à la manufacture de Sèvres, entre 1825 et 1850.
Ces pièces extraordinaires ne représentent qu’une fraction des trésors présentés au Musée National de la Céramique, qui est le plus grand musée du monde consacré aux arts de la céramique. La richesse unique de ses collections est largement due à la diligence et à la persévérance d’Alexandre Brongniart, directeur de la manufacture de 1800 à 1847 ( date de sa mort) Fils d’un architecte et minéralogiste, Théodore Brongniart, auteur entre autres  du bâtiment de la Bourse de Paris, il a écrit ce qui est considéré comme une sorte de bible de la technologie de la céramique, le Traité de l’art céramique, publié entre 1841 et 1844.

Afin de compléter ses recherches en vue de cet ouvrage, il acquit de nombreux vases du monde entier et on lui en donna encore davantage (souvent en échange de porcelaines de Sèvres
C’est aussi lui qui chargea Désiré Riocreux  l’un des décorateurs de la manufacture du musée de la Céramique et du Verre, inauguré en 1824 près de la manufacture, dans le centre de Sèvres. (Riocreux garda ce poste de conservateur pendant cinq décennies ou presque, jusqu’à  sa mort en 1872 !)

Les deux hommes prirent la décision fondamentale de classer les collections selon les différents procédés techniques de fabrication des objets, système de classification qui reste en vigueur aujourd’hui.
En 1876, la manufacture et le musée de Sèvres ont emménagé dans leurs bâtiments actuels, sur une colline dominant la Seine, entre le pont de Sèvres et le parc de Saint Cloud, juste à proximité du pavillon de Breteuil qui abrite le mètre et le kilogramme-étalon.

 A l’entrée du musée se dresse une statue patinée par les intempéries, figurant Bernard Palissy ( vers 1510-vers 1589 ), l’un des plus grands céramistes français, célèbre pour la suavité de ses émaux richement colorés et pour ses « rustiques figulines » décorées de reptiles, de coquillages et de plantes grandeur nature.
Le terme même de « céramique » vient du grec Keramos, qui signifie exactement « argile » et qui inclut tout type de porterie cuite ayant subi une mutation physico-chimique irréversible ; cela comprend la céramique (avec ou sans glaçure) le grès, la faïence et la porcelaine.
Même si les deux niveaux du musée contiennent  quelques vitrines informatives sur les différentes techniques de céramique, les mots s’effacent devant le déploiement des pièces elles-mêmes, illustrant le développement international de cet art décoratif. L’ampleur et la variété de la collection sont stupéfiantes ; la moitié seulement des quelque cent milles pièces peut être présentée à la fois, en raison du manque d’espace.
Parmi les pièces les plus intéressantes, il faut signaler les vases grecs à figures noires ou rouges, fabriqués plusieurs siècles avant J. C. ; les antéfixes rustiques de terre cuite à glaçure plombifère, réalisés dans le Beauvaisis, au XVIe siècle ; de rares céramiques en bleu et blanc de Delft ; des animaux grandeur nature en porcelaine blanche de Meissen ; une jardinière garnie de son bouquet de fleurs, en biscuit tendre de Vincennes ; les vases et amphores ornés de Sèvres, dont les rehauts de porcelaine ont toutes les apparences de l’or.
Aucun autre musée parisien ne possède une aussi riche collection de céramiques islamiques, dont la technique est arrivée en Europe via l’Espagne et l’Italie. Deux salles du rez-de-chaussée illustrent l’évolution de la faïence musulmane à glaçure stannifère et de la céramique lustrée deux techniques inventées et perfectionnées en Syrie et en Perse, au VIIIe et IXe siècle  ainsi que celle de la poterie siliceuse (ou fritte) recherchée pour sa glaçure turquoise est restée inconnue en Europe jusqu’en 1750. On aurait garde d’oublier le remarquable ensemble de céramiques ottomanes d’Iznik, des XVIe et XVIIe siècles, renommées pour leurs motifs émaillés de fleurs bleu, turquoise et rouge corail ; une rare collection de céramique lustrée hispano-mauresque de Malaga, Valence et Manisa, de couleur crème et or.
Les faïences de la Renaissance italienne sont remarquables à la foi pour leur qualité et leur quantité, offrant ainsi au visiteur une vue d’ensemble de leur évolution. La « faïence » a été inventée pour remplacer la porcelaine chinoise qui était extrêmement coûteuse, car importée à prix d’or. Faite d’argile commune, elle était ensuite recouverte d’une épaisse glaçure blanche et cuite à une température  comprise en 800 et 900°C. 

Cette faïence apparaît en Espagne dans le courant du XIVe siècle, mais ne commence vraiment à s’épanouir en Toscane qu’au siècle suivant. Elle a atteint des sommets, au XVIe siècle, dans la ville de Faenza (origine du mot français « faïence ») avec l’usage de motifs polychromes et des reproductions de gravures de l’époque ( style istoriato)

Parmi les raretés du musée, on remarquera un plat de 1525 portant une représentation très animée d’un épisode de la Bible Joseph trouvant le bol caché dans le sac de Benjamin – avec l’estampille de la Casa Pirota, l’atelier le plus réputé de Faenza.
Alors que certains artiste se contentaient de décorer des plats de faïence de scènes religieuses ou de scènes de genre, pour des commanditaires aussi importants que les Médicis, d’autres comme les Della Robbia, famille de plasticiens de Florence –utilisèrent cette céramique blanche et lustrée pour réaliser des retables, des bas-reliefs décoratifs et même des « sculptures » L’un d’eux, Girolamo Della Robbia, vint en France en 1527-1528, pour travailler sous les ordres du roi François 1er.

On lui attribue une statue de faïence grandeur nature représentant la Vierge à l’Enfant, qui règne dans un angle du rez-de-chaussée du musée.
Les visiteurs ne doivent pas manquer la magnifique reconstitution d’une boutique d’apothicaire du XVIIe siècle, qui contient des centaines de pots et de jarres des XVIe et XVIIe siècles, destinés à contenir élixirs, onguents et autres remèdes.
Bien que la porcelaine à pâte dure  fabriquée à base d’un mélange de kaolin blanc, de feldspath et que quartz –ait été mise au point en Chine dès les VIIe et VIIIe siècles de notre ère, l’Europe dut attendre le XVIIIe siècle pour trouver le secret de la fabrication de ce type de céramique de très grande valeur (le mot « porcelaine » vient de l’italien porcellana, terme qui désigne un mollusque des mers chaudes à coquille dure, vernissée et émaillée, le cauri, longtemps utilisé comme monnaie d’échange en Extrême-Orient.)
Dès le XVIe siècle, toutefois, la cour des Médicis, à Florence, avait encouragé la production de porcelaine à pâte tendre, sans kaolin, très fragile.

On compte au nombre des plus précieux objets du musée le groupe des « porcelaines Médicis » bleu et blanc, considérées comme les plus anciennes jamais faites en Europe. On remarquera, en particulier, une bouteille bleue en forme de visage grotesque et deux fioles bleu et blanc, ornées des armes du roi  Philippe II d’Espagne.
En 1708, la première porcelaine européenne à pâte dure a été fabriquée par les céramistes de Meissen, en Saxe. Dans l’intervalle, les artisans français avaient découvert un procédé pour fabriquer sans kaolin une imitation de porcelaine à pâte douce, dite  « biscuit », technique éphémère en raison de la fragilité des produits.

Cette céramique était si appréciée, toutefois, que le roi Louis XV –poussé par sa maîtresse, Mme de Pompadour- encouragea vivement sa production dans la manufacture de Vincennes. Celle-ci devint en 1756, après son transfert géographique, la manufacture de Sèvres.
Le vaste ensemble de porcelaine à pâte tendre reflète ici la fascination de l’époque pour le rococo et les « chinoiseries » On remarquera, parmi les pièces les plus belles, une délicieuse aiguière accompagnée de son bassin, faite à Vincennes vers 1753, dont le fond bleu lapis obtenu à parti d’oxyde de cobalt allait devenir le fameux « bleu de Sèvres » après 1756.
La découverte d’un important gisement de kaolin le mot est d’origine chinoiseà Saint-Yrieix-la-Perche, près de Limoges, en 1768, inspira une nouvelle génération d’artisans-artistes, à Sèvres, qui se mirent à créer tout une gamme d’objets inhabituels en pâte dure ; la résistance et la longévité du nouveau matériau facilitaient les expériences les plus audacieuses de formes et de couleurs.

Trouvant leur inspiration dans l’Antiquité gréco-romaine, avec la découverte des ruines de Pompéi, ils réalisèrent de nombreux modèles dans la veine néoclassique, dont les fameux « bols-seins » pour la bergerie de Marie-Antoinette, au château de Rambouillet. Ces bols à boire, de couleur chair, posés sur un petit trépied de porcelaine formé de trois béliers, constituent une classe de céramique en elle-même.
C’est sous l’égide d’Alexandre Brongniart que la manufacture de Sèvres atteignit son apogée sur le plan des prouesses techniques, montrant que l’art de la porcelaine avait sa juste place parmi les autres arts décoratifs, à côté de la peinture, de la marqueterie et de l’art des métaux.

Cette maîtrise éclate dans l’étonnant secrétaire des Muses, où se mêlent le bois, la porcelaine et le bronze doré, les motifs en trompe-l’œil de la porcelaine imitant aussi bien le placage de bronze que les camées gravés de pierre dure.
Les multiples aspects de la céramique, présentés au Musée national de la céramique, permettent une appréciation et une vision élargies de ce domaine souvent négligé des arts décoratifs. On doit ainsi une grande reconnaissance à Alexandre Brongniart, dont l’intérêt passionné pour l’art et pour la technique de la céramique a permis de créer ce musée véritablement unique.




Place de la Manufacture
93210 Sèvres
Tel : 01 41 14 04 20

Ouvert tous les jours sauf le mardi et les jours fériés de 110 h à 17 h

Métro : Pont de Sèvres
On franchit ensuite le pont à pied ou par l’un des autobus 169, 171 ou 179

Leur site:
http://www.ceramique14.com/enseignement/formation_ceramique/musee-sevres.html

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