Tenue de Franc-Maçonnerie en argot
Paris
Siège de l’obédience
9e arrondissement
De nos jours
Un à un les frères et les sœurs entraient dans le plus grand temple maçonnique de Paris. Les travées étaient bondées et le vénérable avait dû refuser du monde tant le bouche à oreille s’était révélé efficace. « Le Chêne libre » et « Campion », deux loges des plus libertaires, avaient concocté avec délectation cette tenue depuis plus de six mois.
Antoine Marcas ne boudait pas son plaisir. On avait rarement vu ça au siège de l’obédience : une tenue entièrement en argot, selon le rite PDA, Pierre Dac Actualisé, dit aussi « le Rite des voyous » La tenue était organisée en hommage au frère Léo Campion, un chansonnier qui avait connu son heure de gloire au siècle dernier, autant pour son humour corrosif que pour sa profession de foi anarchiste.
Marcas ajusta son tablier et se plaça au milieu des rangées de fauteuils. Il reconnut une dizaine de frères, dont l’un des patrons d’un syndicat de police et le représentant du Grand Maître de l’obédience. A côté d’eux, un prof de l’école de son fils, aux opinions politiques diamétralement opposées aux siennes, rajusta son nœud papillon noir avec le plus grand sérieux. Juste à leur droite, une fringante journaliste d’un hebdo féminin jeta un clin d’œil au vénérable représentant de l’académie Alphonse-Allais. Bref, le mélange habituel des genres et des générations.
Marcas éprouvait toujours le même sentiment de calme et de sérénité quand il rentrait dans un temple maçonnique, qu’il se trouve à Paris, en province ou à l’étranger. Tous les symboles étaient en place. Les deux colonnes du temple de Salomon, à l’entrée, l’une marquée d’un J, pour Jackin, l’autre d’un B pour Boaz. Deux termes hébraïques dont la signification ambiguë alimentait les discussions d’agape. Au plafond, la voûte étoilée, et au sol, le pavé mosaïque : le damier noir et blanc qui montrait l’alternance éternelle de l’ombre et de la lumière. Chaque élément du décor était un signe qui parlait à tout initié. Sur l’un des murs, la lettre G qui, selon les rites évoquait Dieu, God, ou la géométrie pour les frères athées et au fond du temple, le siège du vénérable surplombé de l’œil sacré, l’absolu de la connaissance. Antoine observa les deux pierres au sol, la brute et la taillée, montrant le chemin que tout maçon devait parcourir.
Le vénérable ouvrit la tenue.
-Mes sœurs et mes frères, lorsque les surveillants passeront entre les colonnes, à la place du traditionnel signe de reconnaissance, je vous demanderai de faire un bras d’honneur.
Marcas n’en crut pas ses oreilles. Le vénérable, surnommé pour l’occasion le Taulier, finit son discours d’introduction et une musique emplit l’immense salle aux colonnes. Marcas reconnu les premières mesures.
-non mais j’hallucine. C’est l’Internationale.
Il tendit l’oreille, c’était bien la même musique, mais les paroles avaient été passées à la moulinette par un auteur halluciné. Il consulta le petit livret qui lui avait été remis et entonna le couplet avec une voix de fausset.
Il avait de belles moustaches
Le sourcil noir, le regard clair
Un peu bourru, un peu bravache
Pour nous, c’est presque un père
Joli cœur sous une peau d’vache
Grand cœur sans en avoir l’air
Révolutionnaire sans taches
Oui, Staline est exemplaire.
Le vénérable sortit une matraque de sa poche et frappa d’un coup sec le pupitre.
- Frangin premier maton, es-tu de la crèche ?
- Des vrais de vrais m’ont affranchi répondit le frère.
- Frangibus fait gaffer par le g=bignole de la casbah.
Amusé, Antoine regardait les frères et les sœurs autour de lui. Il n’avait jamais vu ça de sa vie de maçon. Il pensa à certains frères d’une obédience réputée pour son traditionalisme, qui auraient avalé leur tablier en entendant pareil langage dans une enceinte maçonnique. Le maître de cérémonie se leva et arpenta les travées. Le vénérable reprit d’une voix forte :
- Chef et sous-chef maton, au turf. Biglez s’il n’y a pas de loquedus, si vous en chopez un, vous l’argougnez et le bonirez aussi sec. Debout, tas de fainéants, face au bourguignon !!!
- Un chœur s’éleva. Antoine reconnut de nouveau un air tristement célèbre.
- Pétain ! C’est pas vrai, ils y vont fort. Maréchal, nous voilà.
L’hymen chanté pendant l’Occupation en hommage au « Sauveur de la France », celui-là même qui haïssait les francs-maçons encore plus que les juifs et qui avait fait interdire et mis à l’index toutes les obédiences. Les paroles bien sûr avaient été sainement parodiées.
Vénérable, nous voilà
Salut à toi et aux frères de loge
L’anarchie pour combat
Communards, nous marchons sur vo pas
Vénérable, nous voilà
Fils d’Allais, de Léo et de Desproges
Fraternité et joie
Vénérable, vénérable, le voilà
Antoine n’arrivait pas à garder son sérieux et observait à la dérobée les joyeux drilles s’époumonant sous la voûte étoilée du temple. Les surveillants passaient dans les travées et, à tour de rôle, les frères et les sœurs faisaient de grands bras d’honneur avec entrain. Puis tout le monde s’assit pour écouter la biographie haute en couleur de Léo Campion par un frère au visage jovial.
La tenue parut fort courte à Marcas, tant les interventions brillantes et pleines de malice le ravissaient. Il regretta presque d’entendre les paroles de clôture.
- Au nom de la grande truanderie de la rue C., la cabane est bouclée. Les frangins tapent dans leurs pognes ; liberté. Egalité. Fraternité. Salut, les aminches.
L’heure des agapes était venue. Marcas traversa la foule et tapa dans le dos du frangin qui l’avait invité. Le représentant du « Chêne libre » conversait avec le frère belge Jiri Pragman, grand architecte du blog maçonnique Hiram.
- Alors, comment as-tu trouvé ce rite ? Demanda le colosse belge aux yeux pétillant de malice ?
- Très drôle. Mais je ne suis pas sûr que ce Campion fasse la joie des frères, comment dirais-je, plus spiritualistes. Ils s’étrangleraient même.
Le frère leva les yeux au ciel.
- Allons ! Nous sommes spirituels nous aussi. Comme disait Léo : « Il faut faire avec humour les choses graves et avec sérieux les choses drôles. » A tout à l’heure. A propos, l’obédience va recevoir bientôt les cinq principaux candidats aux élections présidentielles, tu veux y assister ? Il va y avoir du monde sous la voûte étoilée.
Au moment où Marcas allait répondre, une main se posa sur son épaule. Il se retourna et reconnut le secrétaire général de l’ordre, Guy Andrivaux, qui lui souriait.
- Cher Antoine, as-tu reçu mon sms ? Aurais-tu un petit moment à m’accorder ?
Marcas le dévisagea. L’autre frère s’était éclipsé avec un sourire complice.
- C’est que je suis pressé. Je dois me rendre à un rendez-vous et…
- Je te rassure, ça ne prendra que quelques minutes. Nous avons un problème.
- Pas de nouveaux meurtres dans les loges, j’espère ? La dernière fois, ça a commencé comme ça*.
- Non. Rien de grave, enfin j’espère. C’est une histoire un peu ténébreuse.
- La lumière de l’Orient maçonnique n’est-elle pas censée dissiper les ténèbres de l’ignorance ? interrogea Antoine.
- Pas quand la raison obscure implique les… Templiers.
* Cf. Le Frère de sang
L'auteur original de ce texte en est Pierre Dac
J'ai relevé ça dans un roman policier, dont j'ai oublié hélas le nom de l'auteur ainsi que le titre du livre, Je sais que la scène en elle-même avait été écrite par un FM qui avait beaucoup d'humour
J'ai relevé ça dans un roman policier, dont j'ai oublié hélas le nom de l'auteur ainsi que le titre du livre, Je sais que la scène en elle-même avait été écrite par un FM qui avait beaucoup d'humour
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