Ce sera sa voix, dans les haut-parleurs, qui dira une comptine. Puis, qui enchaînera, d'un ton malicieux : «Vous voyez que je ne suis pas morte !» La vieille dame ne veut pas de pleurs, pas de fleurs, pas de discours compassés. Pour organiser à l'avance des obsèques qui lui «ressemblent», elle a contacté la boutique l'Autre Rive, à Paris. Ici, on peut décorer en famille le cercueil, troquer les corbillards lugubres contre une deux-chevaux ou un side-car, échanger la cérémonie au crématorium contre une dispersion des cendres en montgolfière.
«Vrai manque». Raphaël Confino, 34 ans, a ouvert ce magasin de pompes funèbres peu commun en 2001. Auparavant concepteur de musées, «rien» ne le destinait à s'intéresser au «monde du funéraire». Pas d'attraction morbide, de deuil non cicatrisé, rien... Si ce n'est le fait d'avoir assisté à quelques «obsèques standardisées» qui l'ont mis mal à l'aise. «Cela ne ressemblait pas au défunt, ce n'était pas l'image qu'on avait envie de garder de lui. J'avais l'impression d'un vrai manque dans ce domaine... Un domaine où l'on peut pourtant faire de très belles choses. Où l'on peut, surtout, se rendre très utile.»
Dans la vitrine bleue de la boutique, un arbre, un bateau. A l'intérieur, du parquet blond, des plantes vertes. La première vocation du lieu est d'offrir «le meilleur accompagnement humain». «Car même si le cercueil n'est pas très beau, le corbillard pas très joli, le plus important est que la personne qui vous reçoit vous permette de créer une ambiance, une chaleur...» A l'Autre Rive, les familles n'ont qu'un seul interlocuteur, joignable 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Il remplit à la fois les fonctions d'assistant funéraire et de maître de cérémonie, d'ordinaire séparées. «On veut que les gens soient à l'aise pour se réapproprier les obsèques. Les rituels se sont standardisés parce qu'on a habitué les familles à les vivre en tant que spectateurs. Pensant les soulager, les professionnels leur ont dit : "Ne vous inquiétez pas, on s'occupe de tout." Et ne leur ont plus donné le choix.»
Exposés au sous-sol de la boutique, des cercueils classiques, mais aussi en osier, en carton ou entièrement habillés de fleurs fraîches. «Des solutions pour tous les budgets, insiste Raphaël Confino. Il faut qu'on puisse avoir de belles obsèques avec 1 500 euros comme avec 45 000 euros.» Le modèle Garrigues, à 707 euros, en chêne brut, est celui que les familles choisissent le plus souvent pour le peindre elles-mêmes. Un atelier permet de se réunir. «ça plaît souvent quand il y a des enfants. Mais ça ne plaît pas à tout le monde. Nous avons eu des obsèques où une partie de la famille, très artiste, voulait peindre le cercueil. L'autre partie, plus classique, refusait. Finalement, l'intérieur du cercueil a été décoré. Rien n'était visible de l'extérieur.»
Verre et fonte. A côté des cercueils, sur une étagère, des miniatures présentent quelques exemples de monuments funéraires ou pierres tombales.«Les gens sont surpris quand on leur dit que rien n'oblige à opter pour le granit.» Pierre blanche, verre, béton, fonte... Matériaux à tailler, sculpter, graver... La liste des possibilités est infinie. «Il y a bien sûr des limites légales. Mais quand quelqu'un vient avec une idée, on met un point d'honneur à la réaliser.» L'équipe de l'Autre Rive travaille à partir d'une esquisse ou d'un début de plan. Elle fait également intervenir des artistes. Au sous-sol de la boutique, quelques très beaux modèles du plasticien André Chabot : la tombe banc public intitulée «Conversation». Ou la tombe-échelle, «Au pied du paradis».
Sur le site Internet de l'Autre Rive, un constat : 80 % des cérémonies d'obsèques sont religieuses, alors que la France compte moins de 20 % de pratiquants. «Les gens optent pour la célébration religieuse car ils pensent qu'il n'y a pas d'alternative», constate Raphaël Confino. D'où l'idée de suggérer des lieux, des rituels, offrant à la cérémonie, religieuse ou civile, une véritable dimension. Les propositions vont de la bande sonore préenregistrée à l'ensemble musical en passant par les illuminations, le lâcher de colombes, le corbillard personnalisé, l'organisation d'un vrai repas mortuaire. «On a reçu une famille, leur père leur avait demandé, le soir de sa mort, de boire à sa santé les bonnes bouteilles de sa cave. Ils ont fait un grand repas festif, comme cela se faisait autrefois.» Pour ceux qui le souhaitent, l'Autre Rive se charge du traiteur. Et de trouver des bouteilles de l'année de naissance du défunt.
Pour la crémation, choisie dans un cas sur quatre, des urnes de tous styles sont proposées, ainsi que de nombreuses «idées» pour disperser les cendres. «J'ai eu du mal à trouver un artificier pour faire une dispersion par feu d'artifice, dit Raphaël Confino. Finalement, il y en a un qui a accepté, c'était très réussi.» Autres possibilités: réaliser un diamant de synthèse avec les cendres. Ou les expédier autour de la Lune. «On a notre premier départ prévu en décembre. Ce sera la première femme française dans l'espace. Enfin... la première après Claudie Haigneré.»
L'Autre Rive, 5, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, 01 46 34 45 26, www.autrerive.fr
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